Heurs et malheurs de Saint-Cirq-Lapopie

1649 views

Heurs et malheurs de Saint-Cirq-Lapopie

« Ce que j’aime dans le Lot c’est son élégance »

(entendu à la terrasse du Champo, Figeac).

Pour tout Lotois, la silhouette remarquable de ce petit village perché procure émotion et admiration. Il n’en est pas de même lorsque nous parcourons ses ruelles pourtant débordantes de charme. Hélas, les boutiques n’offrent que des produits reflétant la vacuité du moment (qui dure), uniquement encombrées de touristes. Si vous cherchez une simple boulangerie, épicerie, boucherie, pharmacie, marchand de journaux ou encore salon de coiffure… vous reviendrez bredouille, voire agacé par la priorité donnée par les édiles locaux de faire de ce village classé « l’un des plus beaux de France » un village-musée.

L’amabilité, la courtoisie, la légèreté de vivre, le sourire, le regard clair… postures qui caractérisent la qualité de vie de notre région y ont disparu. Les commerçants -mais peuvent-ils encore s’appeler ainsi ?- ne tablent que sur ce tourisme, n’étant présents que de mars à octobre. Outre ces mois-là, les rues sont vides, offrant des façades fermées et muettes. Mais à y regarder de près, n’est-il pas préférable de choisir ce visage neutre à celui composé de satisfaction obscène ?

C’est à la fameuse terrasse du Champo, à l’heure sacrée de l’apéro, que les histoires, témoignages, impressions, ressentis s’échangent en toute sincérité et amabilité. Ainsi ce souvenir : nous étions deux à vouloir prendre un petit café à une terrasse pourtant séduisante d’une ruelle de St-Cirq-Lapopie, halte bienvenue après une petite marche sportive, où d’emblée une serveuse nous enjoint de choisir une table de la terrasse, pratiquement vide. Nous nous installons, confiants en notre choix, lorsque la même serveuse avec un sourire d’acciprite* nous intime l’ordre de nous asseoir à une table de deux au cas où, un groupe d’une cinquantaine de personnes viendrait, de façon impromptue, investir la grande présence de toutes ces tables vides. Ce qui, durant notre séjour, n’aura pas lieu à notre grande déconvenue. Notre café fut apporté avec une petite assiette de mignardises que nous n’avions pas demandée, nous mettant ainsi devant le fait accompli. Interrogation légitime : quel sera alors le prix du café ? Nous l’avons su à l’heure de la note où le verdict chiffré possédait un parfum digne des Champs- Élysées !

Ce fut alors au tour d’un autre voisin d’apéritif, d’y aller d’une de ses mésaventures : « St-Cirq-Lapopie était une halte dans mon périple pédestre Figeac-Moissac. À l’aide du guide du (bon) marcheur, j’avais pris la peine, quelques jours auparavant, de réserver ma nuitée au gîte municipal. Arrivé sur place, l’Office de tourisme m’indique le lieu, en précisant que ce gîte n’est plus municipal mais géré par un restaurant. À mon arrivée, confirmation de ma présence, tout se présentait donc agréablement, lorsqu’à ma demande de n’utiliser que la chambrée sans le repas du soir ni le petit-déjeuner du lendemain (comme il est de coutume dans tous les autres gîtes à vocation Chemin de St Jacques), la restauratrice me répond que cela est impossible. L’hébergement correspond à un forfait de 49 euros, comprenant repas du soir, nuitée et petit-déjeuner, quel que soit l’usage réalisé… En dépit de mes remarques signalant que ce n’était pas le reflet de ce que le (bon) guide signalait, la dame est restée inflexible sur ses positions commerciales, avec une façon quelque peu excédée face à ma demande qui me paraissait naturelle : à savoir, le paiement réel au regard du service rendu. C’est alors sur son aimable invitation de quitter les lieux que j’obtempérais avec détermination, en maugréant que ce genre de pratique n’était pas en phase avec l’esprit du pèlerinage et de la marche. Ce ne fut qu’au village suivant, distant de 9 km que j’ai pu goûter un accueil digne de ce nom, chez un paysan empreint de générosité et de délicatesse à qui j’ai raconté mon infortune. Cette déconvenue ne l’a guère surpris, connaissant les orientations quelque peu décalées du nouveau maire se gaussant d’un mandat teinté d’égotisme, tuant l’âme des lieux au profit d’une grossièreté commerciale, détournant sans scrupule la portée patrimoniale du site, en en usant de manière irrespectueuse, pour un profit à courte vue ».

À la faveur de ces deux témoignages, nous évoquâmes alors l’esprit d’André Breton, tombé fou amoureux du village, au point d’y acquérir une maison. Que penserait-il alors avec ses amis rassemblés sous la bannière du surréalisme s’ils étaient témoins d’une telle métamorphose où la goinfrerie fait perdre la grâce, eux qui détestaient tant l’arrogance et la suffisance bourgeoise ? Par un retournement facétieux de ce courant artistique, pourrait-on, aujourd’hui, qualifier de surréaliste la nouvelle identité de St-Cirq-Lapopie ?

Néanmoins, si vous rencontrez des personnes qui, en dépit de ces confidences, désireraient se rendre dans ce charmant petit village lotois, soyez honnête et amical : prévenez-les que tous les parkings alentour sont (bien) payants toute l’année. Cette remarque en guise de carte de visite confortant l’état ambiant.

Cependant, il faut reconnaître une incongruité dans cette réalité qui apporte un supplément d’âme artistique : celle de la présence de la Maison Daura, ancien hospice du XIIIème siècle, qui au cours du XXème siècle fut le lieu de vie et de création du peintre Pierre Daura. Elle accueille aujourd’hui en résidence des artistes du monde entier et de toutes disciplines. Il est vrai qu’elle dépend du réseau de la Maison des Arts Georges et Claude Pompidou, située à Cajarc, autre haut lieu du Lot, que nous évoquerons lors d’un prochain billet.

Nonobstant, St-Cirq-Lapopie est à présent un village factice, un village jouet aux mains de l’argent facile, où le mauvais goût règne en maître.

La vraie vie a quitté les lieux.

Rachel Mut

* acciprite est le nom donné aux oiseaux de proie de grande taille… tel l’oiseau de proie se réjouissant à l’avance du butin…

Derniers articles "D'ici"

Revenir en Haut